
Je suis en route vers le seul des vingt-cinq séminaires français à se trouver à la campagne. Le seul surtout à compter plus de cent séminaristes. Au cœur de la petite ville d’Évron, à mi-chemin entre Le Mans et Laval, il regroupe depuis 2014 la maison mère et la maison de formation – plus communément appelée séminaire – de la communauté Saint-Martin, fondée en Italie en 1976 par Mgr Jean-François Guérin (1929- 2005).
Il faut moins de deux heures de train depuis Paris pour se rendre à Évron. Au Mans, le TGV cède la place au TER. Rouler trois fois moins vite permet de profiter du paysage. Les petites gares et simples haltes défilent : Domfront-Sarthe, Conlie, Crissé, Sillé-le-Guillaume, Rouessé-Vassé, Voutré, et enfin Évron. Au bout du quai rapidement désempli des rares voyageurs descendus du train comme moi, un homme en soutane, don Paul Préaux, le modérateur général de la communauté.
C’est ma première rencontre avec lui en vue d’un livre. La communauté Saint-Martin ne connaît pas la crise. Les vocations affluent. Quelle est la recette de ce succès ? Don Paul Préaux n’aurait-il pas quelque chose à dire sur le sacerdoce et la manière de l’exercer ?
Il a un agenda de ministre. La moitié de son temps se passe à Évron, au milieu des séminaristes, entre les cours qu’il assure et la gestion de la communauté, l’autre moitié sur les routes, rencontrant des évêques, visitant la trentaine de communautés – de trois à quatre membres – disséminées en France, sans compter l’ouverture à l’international avec une communauté en Italie, en Allemagne et à Cuba.
Dans sa petite voiture, l’heure est à la prise de contact. Bien que le séminaire ne soit qu’à une dizaine de minutes à pied de la gare, il a tenu à venir me chercher : « Une quinzaine de séminaristes occupent les murs sur les cent vingt habituellement. On est en régime “vacances”. On vous attend pour le dîner. »
Dans cette ancienne abbaye bénédictine, au milieu de ce qui reste du cloître, une tente barnum et une longue table ont été dressées. Je fais connaissance avec les séminaristes et les quelques prêtres présents. L’accueil est souriant, franc, chaleureux. Les conversations vont bon train. Je me trouve ramené trente ans en arrière, lorsque j’étais moi-même séminariste. Il me semble que rien n’a changé, à part les moyens de communication : courriels, SMS, réseaux sociaux. Après le dîner, nous entamons avec don Paul Préaux notre première conversation en tête-à-tête.
Né le 6 octobre 1964 à Laval, Paul Préaux entre au séminaire à dix-sept ans à Voltri, dans le diocèse de Gênes en Italie, alors siège de la communauté Saint-Martin. Ordonné prêtre le 4 juillet 1989 à Voltri, il sera successivement supérieur de la maison de formation de la communauté à Voltri, puis professeur et directeur spirituel à la maison de formation lorsque celle-ci s’installe à Candé-sur-Beuvron dans le diocèse de Blois. Chapelain puis recteur au sanctuaire Notre- Dame-de-Montligeon dans l’Orne, il assure de nombreuses missions dans le monde auprès de groupes de prière. Titulaire d’un doctorat en théologie dogmatique sur le sacerdoce, plus précisément sur le presbyterium1, il enseigne à nouveau à la maison de formation de la communauté. En 2010, il est élu modérateur général, charge qu’il exerce durant six ans. Une nouvelle élection en avril 2016 le reconduit dans cette fonction pour la même durée.
Durant mon séjour, j’ai pu apprécier l’homme et le prêtre. Derrière le professeur, toujours pointe le pasteur. Il fuit la polémique qui n’édifie en rien. Il expose ce que l’Église enseigne, à nous ensuite d’en tirer les conséquences. Les questions avec lesquelles j’étais venu me sont apparues vaines, politiques, biaisées. Il m’aidait à remonter à la Source. Au fur et à mesure des échanges, la beauté du sacerdoce m’apparut plus clairement. Une conviction habite don Paul Préaux : le sacerdoce n’est pas une invention des hommes, mais un don inestimable, ineffable, incommensurable du Christ fait à ses apôtres et leurs successeurs au profit de tous les hommes. Et c’est bien ainsi qu’il en parle. En faisant de nombreuses références à Vatican II, j’ai trouvé paradoxal, voire incompréhensible, qu’une telle crise du sacerdoce ait pu avoir lieu, « crise durable2 » précise Benoît XVI, alors même que le concile Vatican II lui avait donné une remarquable assise doctrinale. Les remèdes sont là, et on en fait peu de cas. Par ce livre, fruit de ces entretiens combinés à des extraits de textes portant sur le sacerdoce, don Paul Préaux nous en présente quelques-uns. Le but de cet ouvrage n’est donc pas d’offrir aux lecteurs un traité ou un cours exhaustif et systématique de théologie sur le sacrement de l’ordre, comme il l’a fait avec sa thèse et continue de le faire avec ses cours, mais plutôt d’affirmer quelques convictions.
Puisse ce livre contribuer à ce que les fidèles laïcs aiment davantage les prêtres en général, leur curé en particulier, et aux prêtres d’approfondir leur identité sacerdotale.
Thierry Paillard
1. Le presbyterium est l’ensemble des prêtres présents dans un diocèse, que ces prêtres soient membres du diocèse ou d’un institut religieux.
2. Benoît XVI et cardinal Robert Sarah, Des profondeurs de nos cœurs, Fayard, 2020, p. 29.
