J’ai eu le privilège de voir nombre de mes frères dans la vie monastique mourir. Après une vie bien remplie, ils ont accepté la mort sereinement. Parfois l’inconfort, la fatigue, la douleur a rendu leur fin de vie difficile, mais sans pour autant porter atteinte à leur volonté d’accepter la mort à son heure. La capacité de bien mourir est sérieusement sous-estimée dans la société occidentale. En ayant côtoyé des agonies de près, je pense qu’être témoin d’un bien mourir est l’un des événements qui peut être des plus encourageants pour nous-mêmes. Oui, il est triste de perdre un frère, et nous pleurons leur perte à juste titre, mais de par leur manière de bien mourir ils nous laissent un bien inestimable.
Une partie du problème est que la société occidentale a sorti la mort du monde de la famille pour la transférer dans celui de la médecine. Ceci a considérablement réduit les souffrances de la personne mourante, mais a laissé les vivants avec un minimum de contact avec le processus de la mort. Maintenant, ce sont les rituels d’après la mort qui sont touchés. C’est ainsi que les rites funéraires sont souvent brefs, impersonnels, se passent de plus en plus au crématorium et que nombre d’adultes pensent que les enfants ne devraient pas être présents à des funérailles,. La pratique d’un temps marqué par le deuil a disparu chez la plupart. Le deuil est considéré par beaucoup comme beaucoup trop sombre. Il s’agirait d’une coutume hypocrite et désuète. Les Victoriens exhibaient la mort et cachait le sexe ; c’est l’inverse qui se passe de nos jours
La mort est intrinsèquement effrayante, mais la marginalisation de la mort ajoute à cette peur. Benoît veut au contraire que le monastère soit un lieu où la mort n’est pas marginalisée, et il dit à ses moines : « Chaque jour, avoir la mort devant tes yeux » (Règle de saint Benoît, 4, 47). On peut y voir là une préoccupation morbide, mais en fait il n’en est rien. Si Benoît veut que ses moines se rappellent leur condition mortelle, c’est pour qu’ils puissent vivre avec un sens de l’urgence et de la bonté de la vie dès à présent. Dans le Prologue de la Règle, Benoît exhorte ses moines ainsi : « Courez pendant que vous avez la lumière de la vie. Alors la nuit de la mort ne vous surprendra pas » (Règle de saint Benoît, Prologue, 13). La pensée de la mort ajoute un sentiment d’immédiateté à la vie elle-même. Nous devons courir parce que la vie est courte. Benoît voit également une continuité entre la vie et la mort en ce que l’objectif du monastère étant de favoriser une sensibilisation constante à la présence de Dieu, ce qui est difficile dans la vie deviendra définitivement acquis avec la mort qui nous donnera la bénédiction de connaître la présence de Dieu en permanence dans le ciel. « Chaque jour, dans le monastère, jusqu’à la mort, nous continuerons à faire ce qu’il [Dieu] nous enseigne. Alors, par la patience, nous participerons aux souffrances du Christ et nous mériterons ainsi d’être avec lui dans son Royaume » (Règle de saint Benoît, Prologue, 50). La vie monastique exige un dépouillement de tout ce qui n’est pas essentiel afin de nous permettre de vivre constamment de manière pleinement consciente en présence de Dieu. La mort n’est alors que l’ultime dépouillement permettant la rencontre définitive avec Dieu.
