
Le désir d’être heureux est comme inscrit au plus profond du cœur de l’homme. Tous, nous aspirons au bonheur. Qui n’a jamais désiré être heureux ? Pas d’un bonheur éphémère ou promis, mais d’un bonheur durable, ici et maintenant. Mais il s’avère que nous avons tendance à le chercher là où il ne peut être trouvé. Nous nous fourvoyons dans notre quête, nous heurtant à des impasses. Perdus, nous nous demandons où aller. Comment puis-je trouver la paix alors que ma vie n’a plus de sens ? Quelle est la voie pour parvenir au vrai bonheur ? Où trouver un maître qui me fasse grandir dans le vrai, le beau, le bon ; tout en me laissant libre et responsable de ma vie ? Comme dit le psalmiste : « Nombreux sont ceux qui disent : “Qui me montrera le bonheur ?” » (Ps 4, 7).
Un tel maître, le hasard – ou la Providence – nous l’a fait rencontrer au fin fond d’une chartreuse. Il s’agit d’un maître des novices qui initie depuis près de trente ans des jeunes chartreux à la vie spirituelle, à la vie de prière, à une vie donnée, à une vie unifiée. Ces pages que nous publions sont la quintessence de ses enseignements. Il n’a pas écrit pour être publié, ni pour se faire connaître ; on comprendra donc que, selon son souhait et en accord avec ses supérieurs, l’anonymat soit gardée sur sa personne.
Les novices qu’il forme portent en eux les stigmates de notre temps. Ce moine se trouve par ce biais confronté à l’homme moderne dans tout l’éventail de ses aspirations et de ses contradictions. Aussi les propos que ce Maître des Novices dépassent-ils le cadre de la chartreuse pour atteindre une portée universelle. Une telle lumière ne pouvait rester sous le boisseau. Profondément évangélique, la voie proposée rejoint le plus profond du cœur de l’homme. Chacun fera facilement les adaptations nécessaires en fonction de sa situation particulière.
Thierry Paillard

Dans Tintin au Tibet, Milou, alors qu’il est fatigué de grimper et qu’il meurt de soif, entre dans le combat spirituel. Il est tenté de boire l’alcool qui coule du sac à dos du capitaine Haddock. Dès mon enfance, j’ai été frappé de voir que le petit diablotin qui lui apparaît lui suggère des pensées néfastes sous l’apparence d’un bien. « C’est bon, ça l’alcool ! Ça donne du cœur au ventre ! » insinue-t-il à Milou.
Et c’est ici que surgit la question du discernement des esprits qui nous fait distinguer l’épreuve, laquelle conduit à la croissance et à la vie, de la tentation, laquelle conduit au péché et à la mort. Reconnaissons-le : si le mal se présentait à nous sous la forme du mal, nous le rejetterions plus facilement. Mais le fait est que la tentation est menteuse. Son objet est apparemment « bon, séduisant à voir, désirable » (Gn 3, 6), alors qu’en réalité son fruit est la mort. Le diable ne se présente donc pas sous son vrai visage. Pour arriver à ses fins et se faire accepter, il se déguise en ange de lumière, comme l’affirme saint Paul (voir 2 Cor 11, 14), et là se situe la difficulté du discernement.
Dans le cas de Milou, on saisirait pleinement cette difficulté si, au lieu de dessiner un ange et un diablotin, Hergé avait dessiné deux anges de lumière en glissant juste un petit indice permettant de distinguer – ou discerner – le vrai ange de celui qui prétend l’être. Le jeu des sept erreurs, en quelque sorte. Mais il aurait été alors difficile pour le lecteur de saisir du premier coup d’œil où voulait en venir l’illustrateur.
Le chartreux qui a écrit ce livre est un homme habitué au combat spirituel. Nombre de novices ont fourbi leurs armes avec lui. Il nous offre ici les critères de discernement issus de la longue tradition chrétienne et monastique sans oublier d’intégrer les fruits de la psychologie contemporaine. Alors que ce qu’il a écrit s’adressait originellement au noviciat, je n’ai pu m’empêcher, en lisant le manuscrit, de transposer naturellement son enseignement non seulement au combat qui se passe en nous qui sommes dans le monde, mais aux situations conflictuelles auxquelles nous pouvons être confrontées au sein de nos familles, dans l’entreprise, entre groupes sociaux et sur le plan international. La capacité de discerner parmi les pensées et les désirs qui nous traversent l’esprit celles qui sont de Dieu de celles qui ne le sont pas, et par conséquent de savoir si nous devons y consentir ou leur résister, et comment, est donc plus que jamais d’actualité.
Thierry Paillard

L’auteur de ce livre a été pendant plus de six ans mon père maître des novices. Je l’ai toujours perçu comme un homme d’une grande intelligence, très humain, d’une écoute et d’une finesse psychologique exceptionnelles. Mais sa vie intérieure restait un mystère. Il ne dévoilait rien, ou si peu, de son intimité avec Dieu. Il était un homme de prière, cela je ne pouvais en douter. Mais jusqu’à quel point ?
La profondeur de sa relation avec Dieu m’apparut un jour à son insu. J’étais alors tout jeune novice. En tant que père maître, l’auteur venait me voir toutes les semaines en cellule pour une heure ou deux. À une question que je lui posai au cours d’une de ces visites, il me répondit en citant saint Jean de la Croix. Voulant en savoir plus, je lui demandais s’il pouvait m’apporter le livre dont il parlait – jeune novice, je n’avais pas accès à la grande bibliothèque du monastère mais seulement à celle du noviciat. Le lendemain, il me remit celui qu’il gardait dans sa cellule. Je m’en aperçus lorsque, l’ouvrant au hasard, je tombai sur un papier portant quelques vers écrits de sa main. Il s’agissait d’une prière incandescente, mystique, directe, à la tonalité étonnamment moderne. Était-elle de lui ? l’avait-il recopiée d’un autre ? Je ne sais. Je n’ai jamais osé lui poser la question. Mais j’avais eu la forte impression d’être entré par infraction dans le cœur à cœur d’un homme avec son Dieu.
Je suis convaincu que ceux qui savent lire entre les lignes verront dans cet ouvrage le feu intérieur qui consume cet homme de Dieu.
Le livre a été réalisé à partir de conférences délivrées aux membres du noviciat au cours desquelles le souci qui habitait l’auteur était plus pédagogique qu’académique. De ce fait, nombre de citations se trouvaient sans références dans le manuscrit. Nous avons pu retrouver la plupart des sources ; mais nous prions le lecteur de nous excuser pour les autres. Nous avons préféré les laisser telles quelles plutôt que de les supprimer au risque de nuire au bon déroulement de la pensée.
Thierry Paillard
